3 questions à Dominique Vérien, Sénatrice de l’YONNE

Dominique Verien, co-auteure du rapport « plan rouge VIF » issu de la mission confiée par la Première ministre pour étudier le traitement judiciaire des violences intrafamiliales et Sénatrice de l’Yonne

Quel était l’objectif de ce rapport ? Comment vous êtes-vous organisées ?

De nombreuses lois sont déjà passées depuis 2017 pour lutter contre les violences intrafamiliales, mais pourtant, le nombre de féminicides n’a pas diminué. Les associations féministes et la société en général sont très en attente d’amélioration de la situation et d’une meilleure protection des femmes. Faut-il plus de moyens ? Faut-il une juridiction spécialisée ? À quelle échelle ? Cela ne concerne-t-il que la justice ? Voici toutes les questions auxquelles nous devions répondre.

Nous étions toute une équipe : Émilie Chandler, députée du Val-d’Oise, et moi-même en tant que parlementaire en mission auprès de la Première ministre, de la ministre déléguée au droit des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes, et du garde des Sceaux.

Autour de nous, trois inspecteurs généraux de la justice et deux de nos attachés parlementaires.

Nous avons auditionné près de 300 personnes, sommes allés en Espagne et en Angleterre pour voir comment cela se passait chez nos voisins et avons remis notre rapport le 27 mars dernier.

Nous avons choisi de refaire tout le parcours de la victime pour mesurer ce qu’il fallait améliorer ou modifier. Ainsi, nous avons auditionné des victimes, puis les forces de sécurité intérieure, ensuite le système judiciaire pour terminer par la prise en charge des victimes, mais aussi des auteurs.

Quelles sont les principales recommandations de votre rapport ?

Nous avons fait 59 préconisations que je ne détaillerai pas ici, mais les grandes lignes sont :

  • La formation de tous, les services sociaux, les forces de sécurité intérieure et les magistrats. On ne doit plus avoir un gendarme ou un policier qui refuse une plainte ou explique à une potentielle victime de revenir le lendemain. Sans formation à ce que sont l’emprise, le contrôle coercitif, le psychotraumatisme, on risque de se tromper et de ne pas reconnaître une victime et de faire plus confiance à l’auteur qu’à la victime. Donc, une formation de base pour tous et une formation plus poussée pour les acteurs qui vont travailler spécifiquement sur le sujet : brigades spécialisées en police ou gendarmerie et nos futures chambres spécialisées dans les juridictions.
  • Les chambres et pôles spécialisés : nous n’avons pas opté pour une juridiction spécialisée à la manière de l’antiterrorisme, car nous avons pensé que le maillage territorial était le plus important. Il nous faut donc une spécialisation dans chaque tribunal. Ces chambres spécialisées regrouperont juge aux affaires familiales, juge pénal, juge des enfants, juge des libertés et de la détention… bref, l’ensemble des juges déjà existants, mais avec une formation poussée sur le sujet (et dans les petites juridictions, ils pourront ne pas être à temps plein dans la chambre), avec un assistant de justice pour coordonner et partager l’information entre tous. Nous préconisons également de créer un dossier unique de situation afin que ce soit la cellule familiale dans son ensemble qui soit considérée et non plus l’auteur chez le juge pénal, la victime chez le JAF et l’enfant chez le JE sans que les décisions ne soient coordonnées, avec le risque que ces décisions s’opposent.
  • Une prise en charge des victimes grâce à la création d’au moins une maison des femmes par département qui pourra à la fois accueillir la victime, la prendre en charge médicalement, psychologiquement et l’orienter juridiquement.
  • Une prise en charge des auteurs. Ces violences sont systémiques. Si l’on ne traite pas l’auteur, il recommencera, soit sur la même victime, soit sur une nouvelle.
  • Un pilotage interministériel de cette politique publique avec un fonds dédié afin de mesurer les montants mis en jeu pour lutter contre ces VIF.

Mais est-ce possible de faire cela avec les moyens actuels ?

Non, c’est clair. Il nous faudra plus de policiers et de gendarmes, plus de magistrats et accompagner de façon plus pérenne les associations de prise en charge des victimes et des auteurs. Mais nous avons bien entendu que, côté judiciaire, 1500 magistrats, 1500 greffiers et 10 000 assistants de justice devaient être recrutés dans les 4 années à venir. Nous pensons qu’au moins un tiers de ces effectifs supplémentaires devrait être dédié à cette politique publique.