3 questions sur le financement du terrorisme à Nathalie Goulet, Sénateur de l’Orne

Nathalie Goulet, Sénateur de l’Orne et auteur de l’abécédaire du financement du terrorisme aux éditions du Cherche midi

Où en est-on de la grande campagne « No Money For Terror » lancée en avril 2018 dans la lutte contre Daech et Al-Qaïda ?

 

Elle a été presque oubliée entre la crise sanitaire et la crise énergétique, mais la question du terrorisme refait surface. Dans un contexte mondial bouleversé par la guerre en Ukraine, les troubles en Afrique et le conflit à Gaza, la récente réunion à Riyad du Comité de lutte contre le financement du terrorisme au sein des pays du Golfe (TFTC) est passée presque inaperçue.

 

Cette réunion coïncide avec l’avertissement de Wally Adeyemo, sous-secrétaire du Trésor des États-Unis, qui a récemment accentué l’urgence de combattre le financement du terrorisme comme un enjeu majeur pour les alliés européens.

 

Il est essentiel de poser les problématiques, mais agir l’est encore plus. Selon les spécialistes de la lutte antiterroriste, couper les flux financiers du terrorisme est crucial. Ces financements empruntent souvent les voies de la criminalité financière et du blanchiment d’argent, impliquant la drogue, le trafic humain, la contrefaçon, les enlèvements, la piraterie, ainsi que le trafic d’œuvres d’art et d’armes. D’où l’importance de hisser la lutte contre la criminalité financière au rang de priorité internationale. Des groupes comme le Hezbollah, les Frères Musulmans et leur aile palestinienne, le Hamas, sont perçus comme faisant partie d’une coalition internationale du crime et de la terreur. La question de leur financement par certains États, tels que l’Iran pour le Hezbollah, ou le Qatar et la Turquie pour le Hamas et les Frères Musulmans, soulève des préoccupations.

 

Qu’est-ce qui relie les différentes méthodes de financement utilisées par les groupes terroristes ?

 

Le point névralgique est le blanchiment d’argent. Si étroitement lié au financement du terrorisme, les deux ont été amalgamés sous le terme « LCB-FT » depuis 2001. Selon un rapport rigoureux de la Cour des comptes européenne datant du 28 juin 2021, le blanchiment représenterait près de 3 % du PIB mondial, équivalant à environ 2 129 milliards d’euros.

 

Selon l’article 324-1 du Code pénal, le blanchiment est défini comme toute action contribuant à falsifier la provenance des biens ou revenus d’un individu coupable d’un crime ou délit procurant un bénéfice. Cela inclut aussi l’aide apportée dans les opérations de placement, de dissimulation ou de conversion du produit d’un crime ou délit. La peine pour blanchiment peut aller jusqu’à cinq ans de prison et 375 000 euros d’amende. Le processus se décompose en plusieurs étapes clés :

Le « placement », ou la phase de « prélavage », où l’argent illégal est injecté dans le système financier, comme des dépôts en espèces sur un compte bancaire sans origine vérifiable ;

L’ « empilage », ou « lavage », où l’argent est mouvementé pour en effacer les traces, souvent par des transferts bancaires successifs ou l’émission de chèques ;

Et l’ « intégration », ou « essorage », qui marque le retour de l’argent, maintenant nettoyé, dans l’économie, par des achats ou paiements divers.

 

Face à ces méthodes sophistiquées, la question demeure : sommes-nous suffisamment outillés pour contrer cette marée de financements illicites ? On note des avancées significatives dans le secteur bancaire et l’efficacité de la politique de « Name and Shame » est reconnue.

 

Comment expliquer l’apparente lenteur du système malgré les incitations de la Cour des comptes européenne à améliorer son efficacité ?

 

Les révélations du consortium de journalistes ICIJ, notamment à travers l’affaire des « Panama Papers » et plus tard les « Pandora Papers », ont exposé une fraude colossale de deux mille milliards de dollars, mettant en lumière des failles systémiques et une réactivité législative insuffisante.

 

L’enquête, qui a aussi donné naissance aux « FinCEN Files », indique que de 1999 à 2017, deux mille milliards de dollars ont été acheminés via des institutions telles que JPMorgan Chase, HSBC et Deutsche Bank. Ces révélations accusent cinq grandes banques – y compris Standard Chartered et Bank of New York Mellon – de faciliter le mouvement de fonds de criminels notoires, même après avoir été pénalisées pour des infractions financières.

 

Vous avez votre réponse.

 

Que faire ?

L’impératif est d’agir avec détermination pour renforcer la lutte contre la criminalité financière. Nous devons constamment réévaluer les dispositifs mis en place et identifier leurs faiblesses.

 

L’Europe, en particulier, devrait se munir d’une Agence anti-blanchiment d’envergure, dont la création est malheureusement retardée. La tâche est rendue ardue par la présence de juridictions telles que Jersey et le Luxembourg, qui opèrent au sein d’une Europe manquant d’unité. La vérité est que certains États montrent une tolérance préoccupante envers le blanchiment et les délits financiers. Les ports francs et les paradis fiscaux, bien que critiqués ouvertement, continuent de fleurir, tout comme leur clientèle. La délinquance financière ne se limite pas à l’évasion et à la fraude fiscale ; dans la même obscurité, elle finance aussi le terrorisme qui afflige le monde.

 

J’ai suggéré au Sénat de créer une commission d’enquête sur ce problème crucial. Dans quelques semaines, nous saurons si cette proposition retient l’attention de mes collègues. Il ne faut pas oublier que les fonds qui ont soutenu les attentats du 7 octobre en Israël, et l’implication des cryptoactifs, pourraient un jour être exploités sur le sol français. Le terrorisme ne connaît pas de frontières. Je plaide donc pour une mobilisation accrue contre ces financements illicites.