Apprendre à faire face à notre propre mort

Discours de Jean-Christophe Lagarde à l’Assemblée Nationale (29/05/2020)

Discours sur le plan de déconfinement annoncé par le Premier Ministre


Monsieur le Président,

Monsieur le Premier Ministre,

Difficile en quelques minutes d’apprécier un plan très large tel que vous l’avez donné.

Je veux d’abord affirmer que les Députés UDI partagent l’idée qu’il faut choisir entre déconfinement et effondrement et en réalité il n’y a pas de choix, il faut déconfiner et la question c’est le comment.

Il y a dans votre intervention d’abord des choses qui me paraissent positives et de bonnes nouvelles.

Le fait qu’on ne soit pas sûr que ce soit le 11 et que vous conditionnez ça à un certain nombre de critères. 

Je les rappelle : le taux de nouveaux cas, l’état de nos services d’urgence – recomposition du matériel, des médicaments, mais aussi du potentiel humain, notamment dans les départements et les territoires les plus éprouvés – la capacité en tests, dont on doit pouvoir disposer pour pouvoir améliorer le déconfinement le 11 mai.

Mais aussi il me semble que vous avez oublié la disponibilité des masques, parce que les masques ne seront pas disponibles partout sur le territoire en même temps.

Les collectivités locales en ont commandé, toutes en même temps, et donc elles ne les recevront pas toutes en même temps, permettant de garantir les protections nécessaires.

D’ailleurs, vous avez clarifié leur nécessité, je veux vous en remercier en vous disant, quand même, que personne, me semble-t-il, n’a jamais contesté le fait qu’ils soient réservés aux soignants, mais qu’on n’ait pas dit très clairement aux Français : puisque nous n’en avons pas assez, ce sont les soignants qui sont prioritaires, parce que si les soignants meurent, il n’y a plus personne pour nous soigner ; je crois que tous les Français auraient compris ça.

Et ça aurait permis plus de confiance qu’on constate aujourd’hui dans la population. 

Pour réunir ces critères, pour en juger, il faudra que les élus puissent en juger eux-mêmes. Il en va aussi de leur responsabilité. Et plus, si je peux me permettre Monsieur le Premier Ministre, que les préfets qui font un travail remarquable, mais qui ne rendent pas de comptes à la population.

Deuxième point positif : le fait d’avancer par étapes de trois semaines. 

On verra ce que donne le critère des départements vers ou rouge ; je ne suis pas sûr qu’il faille attendre trois semaines à chaque fois, mais en tout cas qu’on avance par étapes et pas d’un seul bloc. 

Après, j’ai relevé un certain nombre de contradictions, peut-être liées à des incompréhensions ou à des incomplétudes.

Vous parlez de territorialisation, mais, Monsieur le Ministre de l’Éducation nationale, on nous dit que toutes les écoles doivent rouvrir en même temps. Il n’y a pas de territorialisation si c’est toutes les écoles partout en même temps. 

Vous nous dites que les plages vont être fermées partout, mais très franchement, il y a des territoires où le virus n’a quasiment pas circulé et où je ne pense pas qu’on soit plus confiné, ou plus en difficulté, ou plus en danger sur une plage que dans une médiathèque, qu’en revanche vous souhaitez laisser libre d’ouverture même si, j’imagine, il y aura des limites.

Vous avez dit que les crèches seraient limitées à 10 ; je n’ai pas très bien compris cette partie-là et j’imagine que les jours qui viennent nous permettront d’y voir plus clair. 

Mais, je n’ai surtout pas compris pourquoi vous choisissez de prioriser dans les crèches, ou de demander qu’on priorise dans les crèches, et vous avez raison, les familles monoparentales, les gens qui sont obligés de travailler, et que vous ne faites pas la même chose dans les maternelles. Où, entre nous soit dit, les règles de distanciation sociale sont strictement impossibles à appliquer.

À ce sujet, je vous ai interrogé lors de notre réunion et je le refais ici : est-ce que les Maires qui refuseront d’ouvrir les maternelles se verront obligés de le faire par les préfets ? Et qui en portera la responsabilité pénale?

Je pense également qu’on a oublié qu’il fallait tester massivement les adultes intervenant en milieu scolaire : les enseignants, les personnels des collectivités locales, voire des sociétés qui s’y trouvent. 

C’est ce qu’on a fait avant le confinement, où on fermait les écoles quand un adulte était contaminé ; je pense qu’il vaut mieux le faire en amont pour éviter qu’une infection menace le personnel et les enfants de nos écoles.

Et puis, il y a les incertitudes qu’il vous appartiendra de préciser. 

Par exemple, vous avez dit que dans les départements verts les parcs et jardins pourraient rouvrir. Très franchement dans les départements qui resteront en rouge, sans jeu de mots quand je pense à la Seine-Saint-Denis, il y a besoin d’aérer la population qui est confinée dans des conditions de logement très difficile.

Et nous avions un système qui permettait de réguler dans les parcs où c’est possible le nombre d’entrants ; je vous demande d’y réfléchir.

Vous avez évoqué comme incertitude également les déplacements interdépartementaux. Si j’ai bien compris, sur attestation en fonction des motifs, c’est l’attestation qui demeurerait. Mais je vous le dis tout de suite, Monsieur le Premier Ministre, quid des vacances ? Parce qu’il y aura sans doute encore des départements dans le rouge au moment des vacances.

Je n’ai pas compris comment vous entendiez limiter le nombre de passagers dans les transports en commun, par exemple dans le métro à Paris, puisqu’il faut étaler, bien sûr, mais on ne pourra pas facilement empêcher les gens d’entrer dans la même rame sachant qu’ils ont, eux aussi, une pression économique et sociale importante.

Vous avez dit que l’isolement serait sur le volontariat, je veux attirer votre attention, Monsieur le Premier Ministre, là encore sur des personnes qui pour s’isoler devraient se couper de leur travail ; il faut compenser leur situation, évidemment, sous forme d’arrêts maladie, ça me semble une évidence.

Vous avez dit que l’application ce n’était pas maintenant, mais après. Je ne sais pas si celle-ci serait utile. Je veux simplement dire à tous les Français qu’après examen, et même si nous avions des incertitudes au début, celle-ci ne nous parait pas poser de problèmes en termes de liberté publique.

Et puis vous avez abordé un état d’urgence plus longtemps. Celui-ci nous laisse inquiets, parce qu’il y a des adaptations à faire, mais pas à vivre sous un régime d’exception en permanence.

Vous nous avez invités, et je conclus Monsieur le Président, à enrichir le dispositif au cours des semaines qui viennent, nous le ferons volontiers. Il est dommage que vous ne nous ayez pas laissé le temps d’y réfléchir aujourd’hui, d’en échanger, et d’en débattre entre nous.

Quinze jours pour établir un plan de déconfinement pour le gouvernement, une heure pour nous décider pour ce qui concerne nos groupes, ce qui expliquera d’ailleurs la diversité des votes.

Au fond, le succès du déconfinement ne dépend que d’une chose : le retour de la confiance des Français dans la parole publique et particulièrement de ses responsables politiques gouvernementaux. 

Sinon, ils ne remettront pas leurs enfants dans les écoles, ils n’iront pas travailler, ils n’iront pas dans les transports. 

Mon jugement personnel, Monsieur le Premier Ministre, c’est que le traitement et le suivi de la crise économique par le gouvernement ont été bien faits, le suivi sanitaire laisse, aujourd’hui, encore beaucoup d’interrogations dans les têtes des Français. C’est sur celui-là que vous devez regagner leur confiance. 

 

Explication de vote 

Au-delà des drames et des contraintes que les Français vivent depuis maintenant plusieurs semaines, un des aspects les plus terribles de l’épidémie qui s’est abattue sur le monde, c’est que chacune et chacun d’entre nous est amené, dans chaque geste de la vie quotidienne, à faire face à sa propre mort. Nous savons certes que nous quitterons un jour cette terre mais quand toucher ce micro devient dangereux comme l’obligation de son nettoyage systématique – ce dont je remercie le président – nous le rappelle, c’est autre chose.

À chaque moment, chaque Français sera pendant encore plusieurs mois obligé de se demander comment protéger et protéger ses proches.

Il peut paraître bizarre de commencer ainsi une explication de vote mais il s’agit de ce que sont en train de vivre, non seulement notre peuple, mais tous les êtres humains.

Ce n’est pas rien s’agissant des changements de nos attitudes mais c’est énorme s’agissant de la capacité d’un peuple à retrouver non pas même sa vie d’avant, mais une vie supportable et acceptable. C’était, monsieur le Premier ministre, toute la difficulté du discours que vous aviez à prononcer aujourd’hui : sortir de cet état de peur, pour ne pas dire de trouille, accepter notre condition d’être humain dans sa fragilité mais aussi, vous l’avez dit à propos du choix entre l’effondrement ou le déconfinement, accepter un risque.

C’est la mesure de ce risque qui fera ou non le succès de ce que vous venez de nous présenter et qui doit se construire dans les semaines à venir entre les chefs d’entreprise et leurs salariés, les maires et les écoles, les élèves et les parents puisqu’ils devront continuer à faire attention une fois revenus de l’école.

La difficulté principale, je l’ai évoqué à la fin de mon intervention tout à l’heure, c’est la confiance. Avons-nous confiance en vous ? Avons-nous confiance les uns dans les autres, non pas ici, mais dans les entreprises, dans les transports, dans l’attitude de civisme que vous appelez de vos vœux et qui est évidemment nécessaire ? Je veux dire à ce propos que j’ai été impressionné de voir à quel point nous les Français, qui sommes un peuple parfois indiscipliné, nous avons su faire preuve de discipline, y compris, vous le savez, monsieur le ministre de l’intérieur, dans des départements comme le mien, la Seine-Saint-Denis, si souvent stigmatisés.

Maintenant, il faut redémarrer. Progressivement, intelligemment, prudemment mais redémarrer. Ce redémarrage, vous avez essayé de le dessiner ici.

Comme je l’ai déjà dit, nous ne sommes pas d’accord sur tout. Nous aurions voulu que la territorialisation soit plus accentuée et que les élus locaux aient bien davantage la main car ce sont eux qui rendront des comptes et non pas les préfets, même si des cinglés multiplient les poursuites judiciaires à l’égard de ces derniers.

J’aurais préféré que nous commencions plus tôt à construire ensemble la confiance qui nous est nécessaire pour survivre sur les plans économique et sanitaire. Vous choisissez de le faire à partir d’aujourd’hui ; nous aurions pu le faire avant ce débat.

Monsieur le Premier ministre, la crise que vous avez à gérer est difficile. Les yeux dans les yeux, je vous dis que peu de gens ici aimeraient être à votre place et que je vous ai trouvé à la fois solide et sincère, y compris dans vos doutes et vos incertitudes. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Mme Sophie Auconie applaudit également.)

N’applaudissez pas trop vite !

Si je devais voter la confiance, ce serait sans doute plus à vous qu’à votre supérieur que j’ai trouvé moins solide et moins sincère.

Vous avez géré la crise économique avec beaucoup de réalisme et la crise sanitaire avec un certain nombre d’incertitudes et parfois de difficultés. Le Gouvernement et les acteurs locaux doivent maintenant faire en sorte que le déconfinement soit un succès.

C’est une question de confiance, je le répète. Au sein du groupe UDI, Agir et indépendants, comme chez les Français, les voix seront partagées : certains accorderont la confiance a priori et d’autres – dont je suis – demanderont qu’elle soit construite ensemble.

Plus que de la mienne ou de la nôtre, vous aurez besoin de la confiance de tous les Français. Tel est le chantier que vous venez d’ouvrir : construire la confiance ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir et sur quelques bancs du groupe LaREM.)

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