Le mur de la dette

Flavien Neuvy, Maire de Cébazat et Conseiller départemental du Puy-de-Dôme

S’il y a bien un sujet qui est complètement sorti du débat public, c’est celui de la dette publique. Il y a 12 ans, lorsque la Grèce a fait défaut sur le paiement de sa dette souveraine, la question de la soutenabilité des dettes publiques en zone euro était dans toutes les têtes. A l’époque, 82% des Français se déclaraient inquiets à l’égard du déficit public et de la dette (Ifop). Toujours selon le même sondage, 1 Français sur 2 considérait que la réduction de la dette était « tout à fait prioritaire », au même niveau que le relèvement des salaires. Nous guettions même les publications des agences de notation pour savoir si la note de la France allait être dégradée…

Instinctivement, on pourrait penser que si l’inquiétude à l’égard de nos finances publiques s’est fortement amoindrie par rapport à 2010, c’est parce-que les comptes se sont améliorés depuis. Les chiffres sont clairs : la dette publique française (au sens de Maastricht) est passée de 85% du PIB au quatrième trimestre 2010 à 113,3% à la fin du troisième trimestre 2022. En euros, les chiffres sont encore plus impressionnants : nous sommes passés d’un peu plus de 1500 milliards en 2010 à près de 3000 milliards de dette en 2022.

Ces chiffres sont vertigineux et la situation paradoxale : plus la dette grimpe, plus l’inquiétude des Français à son égard baisse. Pourquoi ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Il y a certainement plusieurs raisons mais deux d’entre elles me semblent particulièrement impactantes. 

Il y a d’abord le « quoi qu’il en coûte » qui est passé par là. Tout le monde se souvient du Président de la République annonçant en mars 2020 le premier confinement lié au Covid19. C’est à cette occasion qu’Emmanuel Macron a promis que l’Etat soutiendrait l’économie française « quoi qu’il en coûte » toute la crise sanitaire durant. Promesse tenue. Ce « quoi qu’il en coûte » a coûté au moins 250 milliards d’euros. Loin de moi l’idée de dire qu’il ne fallait pas agir de la sorte. L’économie française se serait écroulée et la facture certainement plus lourde encore. Mais, si le pays a pu assumer des telles dépenses, l’opinion publique n’arrive plus à comprendre qu’il faille faire une réforme des retraites pour quelques milliards d’économie par an. Au fond, ce « quoi qu’il en coûte » laisse penser que l’argent public n’a pas de limite.

Le deuxième qui est lié au premier, c’est que les discours alarmistes sur la dette publique qui ont été tenus depuis des décennies ont été décrédibilisés par les faits. Souvenons-nous des deux indicateurs que nous avions tous en tête : surtout ne pas dépasser les 3% de déficit public et les 60% de dette/PIB. Les plus fervents adeptes d’une stricte orthodoxie financière n’ont eu de cesse de répéter que le non-respect de ces ratios serait dangereux pour le pays. Certains expliquaient même qu’au-delà de 100% de dette/PIB, cette dernière serait hors de contrôle.

En 2020, le déficit s’est élevé à près de 10% et notre dette culmine aujourd’hui à près de 115% du PIB. Que s’est-il concrètement passé ? Rien. Aucune catastrophe…du moins pour le moment. Du coup, les discours rationnels sur les dépenses publiques sont inaudibles dans l’opinion. Plus personne ne peut croire que la bonne tenue de nos comptes publics est un impératif.

Pourtant les problèmes arrivent. Ils ont un nom : hausses des taux d’intérêts. Avec le retour de l’inflation, les banques centrales ont entamé un cycle de resserrement monétaire rapide et puissant. C’est vrai aux USA avec la FED mais c’est aussi le cas en zone euro avec la BCE. Ces hausses rapides ont mis fin à l’illusion de l’argent gratuit qui a permis à certains Etats (dont la France) d’emprunter à taux négatifs. Cette période est terminée. L’argent a un coût et l’impact pour nos finances publiques significatif : la charge de la dette est passé d’environ 38 milliards en 2022 à près de 52 milliards cette année. Le besoin prévisionnel de financement de l’État atteindra 305,5 milliards d’euros, du fait principalement d’un déficit budgétaire de 158,5 milliards d’euros.

La Cour des Comptes vient (encore) de lancer un cri d’alarme sur le sujet et a estimé qu’il fallait trouver au minimum 30 milliards d’euros d’économies supplémentaires dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques (PLPFP) 2023-2027 qui n’a pas encore été voté.

L’urgence est là et peu de gens en ont conscience, le réveil risque d’être brutal.

Un dernier point : les élus locaux attachés à la bonne tenue des comptes publics dont je fais partie, doivent faire preuve de cohérence. Il n’est pas possible de réclamer de l’Etat une bonne gestion de ses deniers tout en demandant systématiquement des moyens supplémentaires pour nos collectivités territoriales.