Calanques empoisonnées : entre beauté sauvage et héritage toxique

Frédéric Guelle, Conseiller métropolitain Aix-Marseille-Provence, Conseiller d’arrondissement des 9e et 10e de Marseille, Vice-président de la RTM, régie transports métropolitains, et professeur

 

Le chemin serpente entre pins tordus et falaises blanches. Plus bas, la Méditerranée se brise en écume turquoise contre les rochers. À première vue, tout respire la carte postale.  Classées Parc national, les calanques attirent chaque année des centaines de milliers de visiteurs en quête de paradis méditerranéen… mais derrière cette image idyllique se cache une autre réalité.

 

Sous les sentiers et la route des Goudes, derrière les cabanons vendus à prix d’or, dort un siècle d’histoire industrielle. Dès le XIXᵉ siècle, usines de soude, acide sulfurique, fours à chaux et fonderies de plomb se sont installés dans ces criques isolées. Leurs vestiges empoisonnés subsistent : crassiers noirâtres, amas de scories toxiques à ciel ouvert et friches délabrées.

 

La liste des polluants fait frémir : plomb, arsenic, mercure, cadmium, nickel, antimoine, amiante. Sous l’effet du vent et des pluies, ces dépôts contaminent sols et fonds marins. « Tu n’as pas intérêt à sucer les cailloux de la plage de Saména », plaisantent amèrement les riverains, conscients des risques sanitaires pour leurs enfants.

 

Après des années de batailles judiciaires, le tribunal administratif de Marseille a tranché en décembre 2024. L’État est condamné pour carence fautive et sommé de dépolluer le littoral entre Mont Rose et Callelongue. Une première en France, assortie d’un calendrier strict : sécuriser les sites prioritaires d’ici mars 2026, traiter treize zones supplémentaires entre septembre 2026 et mars 2027, et achever l’ensemble des travaux au plus tard en juin 2028.

 

L’ADEME pilotera ce chantier titanesque, alternant l’évacuation de déchets vers des sites spécialisés et le confinement in situ recouverts de matériaux étanches, intégrés au paysage pour limiter l’impact visuel. Montant de l’opération : 14 millions d’euros, financés par la Ville (2 M€), la Métropole (1,5 M€), le Département (3,4 M€) et l’État (7 M€).

 

Mais sur le terrain, vigilance et inquiétude demeurent. La circulation sera perturbée sur l’unique route des Goudes, avec zones de circulation alternée et stationnement réduit pour les habitants et les touristes. Pour compenser, la Métropole augmente l’offre de bus et implante de nouvelles stations Levélo.

 

Entre beauté naturelle et héritage toxique, les calanques entament une course contre la montre : celle d’une dépollution qui devra enfin tenir ses promesses.