Robert Badinter, un homme de justice au Panthéon

Jean-Marie Bockel, ancien Ministre et ancien Maire de Mulhouse

 

C’est avec une émotion reconnaissante que je m’exprime, moi qui, avant d’être élu, fus un jeune avocat guidé par l’exigence des droits fondamentaux. Pour moi, Robert Badinter fut d’abord une silhouette morale : l’éloquence sobre d’un juriste qui ne séparait jamais le droit de l’humanité.

Membre de la Ligue des droits de l’homme, engagé très tôt pour l’abolition, j’ai lu, écouté, admiré le grand avocat qu’il était avant même de le rencontrer. Lorsque je suis entré à l’Assemblée en 1981, ma première intervention fut sur le débat sur la peine de mort. J’en garde la mémoire vive : une controverse ardente, mais transcendée parfois par des voix qui, au-delà des clivages, savaient reconnaître la primauté de la dignité humaine.

 

Je dois à Robert Badinter un souvenir plus intime. En 1982, il me convia à la Chancellerie pour partager un thé et me parler d’un sujet qui disait tout de sa manière d’agir : la nécessaire fermeture de la prison de Mulhouse, vétuste, inhumanisable, héritée du XIXᵉ siècle. Il me demanda d’aider, d’argumenter, d’ouvrir la voie auprès du maire de Mulhouse de l’époque. Derrière l’icône de l’abolition, il y avait ce ministre attentif, concret, déterminé à moderniser nos prisons, à rendre la justice plus digne jusque dans ses murs.

 

Nos chemins se sont croisés au gouvernement Fabius, de 1984 à 1986. Robert Badinter y imposait sans brutalité une autorité calme : courtois, accessible, d’une rigueur qui n’excluait ni l’écoute ni la répartie. Son départ pour le Conseil constitutionnel, qu’il présida, entraîna un jeu de chaises musicales qui me conduisit au commerce et à l’artisanat ; un détail biographique, certes, mais qui dit l’empreinte qu’il laissait partout : celle d’un responsable qui, en faisant sa part, rendait possible celle des autres.

 

L’abolition ne fut ni un effet d’annonce ni une facilité. Elle allait à rebours des sondages d’alors, suscita polémiques, insultes, et une haine dont l’antisémitisme n’était pas absent. Il y fit face sans s’y habituer, sans jamais perdre sa maîtrise, ni hisser ses blessures comme étendard. À cet égard, je pense à Simone Veil : même pudeur, même fermeté, même refus d’être enfermée dans une seule cause pour mieux servir toutes les autres. Il ne fut pas l’homme d’une réforme ; il fut cinq années durant un Garde des Sceaux bâtisseur.

 

Son entrée au Panthéon, aujourd’hui largement consensuelle, adresse un message clair, en particulier à la jeunesse d’un monde inquiet : la liberté et la justice exigent du courage, du travail, et une voix qui ne tremble pas quand l’essentiel est en jeu. L’héritage de Robert Badinter est universel parce qu’il est profondément humain : il nous commande de tenir la dignité au cœur du droit, du débat public et de l’action quotidienne. À nous maintenant d’en être les gardiens.