Tribune de Vincent Delahaye
Vice-président du Sénat, Sénateur de l’Essonne

« Nous avons en France plus de lois que tout le reste du monde ensemble, et plus qu’il n’en faudrait à régler tous les mondes d’Epicure », dénonçait déjà Montaigne dans ses « Essais ». Depuis que l’illustre philosophe a couché ces mots sur le papier, notre arsenal législatif n’a pour autant pas cessé de s’alourdir, de se complexifier et donc de s’obscurcir. C’est pourquoi, nous avons décidé de mettre en place au Sénat  une « mission Balai » (Bureau d’abrogation des lois anciennes inutiles) visant à supprimer les dispositions législatives n’ayant pas ou plus d’applicabilité.
L’ampleur de notre législation est telle qu’il est aujourd’hui impossible de dénombrer avec exactitude le nombre de lois en vigueur dans notre pays. Pour preuve, le Conseil d’Etat estime à 10.500 leur nombre, quand Légifrance en comptabilise 2.707. Quant à l’exécutif, il n’a jamais été en mesure d’indiquer clairement ce nombre, si ce n’est à minima et par des voies détournées en avançant en 2014 que le nombre de pages du « Journal officiel » était de 10.813.
Cette situation résulte de notre histoire politique et juridique. Elle n’a véritablement connu que la nuit du 4 août 1789 comme moment d’abrogation de normes devenues désuètes et injustifiées. Depuis cette nuit glorieuse, la République est retombée dans une certaine logique corporatiste visant à normer toutes les activités, à légiférer partout et tout le temps. Si bien que si les régimes passent, les lois, elles, demeurent. Pour exemple nous avons dénombré plus d’une vingtaine de lois manifestement obsolètes mais toujours en vigueur, et pouvant aller jusqu’à dater de 1819. C’est dire si la longévité de lois inutiles est en France inversement proportionnelle à la lisibilité de notre bloc législatif.
Ces dernières années le législateur n’a pas été avare de lois dites de simplification. Depuis 2004, ce sont plus de dix lois de simplification du droit qui ont vu le jour. Si celles-ci étaient évidemment profitables, il n’en demeure pas moins qu’elles ont souvent omis de réaliser le travail préalable d’allégement de la loi, avant de la simplifier.
Or ce travail préliminaire est indispensable afin de permettre au citoyen d’appréhender la réalité de la loi qu’il n’est pas censé ignorer. Un stock trop élevé de lois, est de nature à rendre leur accès plus ardu et leur compréhension plus épineuse, en ne permettant pas de séparer les lois réellement effectives de celles qui n’ont plus qu’un intérêt quasi archéologique. Il s’agit d’un problème qu’identifiait déjà Montesquieu en affirmant que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », et qu’il est temps de résoudre.
Nous avons ainsi pour ambition d’abroger des lois obsolètes, n’ayant jamais reçu d’application, devenues contraires au droit international et européen, ou étant simplement inutiles voire absurdes. Sur ce dernier point, l’on peut citer par exemple une disposition du Code rural prescrivant la place des saucisses, des oeufs, des nuggets et des petits pois dans les cantines scolaires. Notre démarche est le préalable nécessaire à toute simplification durable, car aujourd’hui plus que jamais notre pays a besoin de gagner en compétitivité juridique en rompant avec le conservatisme et l’inflationnisme législatif.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]