Jean-Christophe Lagarde :
« L’accord sur le Brexit avec Boris Johnson peut être mortel pour l’Union Européenne ! »
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Le Royaume-Uni quitte officiellement l’Union Européenne aujourd’hui, près de cinq années après le référendum qui a déclenché le Brexit.
Malgré les rodomontades du nouveau héraut de l’Internationale démago Boris Johnson, l’année qui vient place nos amis britanniques dans une situation tout à fait surprenante pour un peuple pourtant attaché à sa propre souveraineté.
Jusqu’aux mois qui nous séparent du 31 décembre 2020, le choix de quitter l’Union Européenne revient à appliquer l’ensemble du droit de l’Union Européenne ainsi que les arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne sans la moindre représentation au Parlement européen, et surtout au Conseil de l’Union Européenne. Voilà le premier prix que doivent aujourd’hui payer nos voisins pour les mensonges des Brexiters.
Face à une telle déconfiture, je regrette que l’opinion publique européenne soit gagnée par une forme d’insouciance et d’indifférence à l’égard de cet épilogue d’un feuilleton interminable, au risque de nous distraire et d’être piégés par excès d’optimisme.
Si, à court terme, le Royaume-Uni apparaît isolé et affaibli, à long-terme, nous pourrions être piégés par notre naïveté : l’accord de sortie qu’ont accepté les Chefs d’Etat et de Gouvernement et qu’a ratifié le Parlement européen est extrêmement inquiétant, et tout particulièrement pour ce qui concerne le protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord.
En 2004, lorsque les responsables politiques applaudissaient à tout rompre l’élargissement à l’Europe centrale, j’avais été le seul des 577 députés français à alerter sur les risques d’un optimisme exacerbé, qui nous a fait nous élargir avant de créer une Europe politique. En votant contre l’adhésion de dix nouveaux Etats, pendant que mes 576 collègues l’approuvaient ou s’abstenaient, j’exprimais la crainte que cet élargissement ne vienne paralyser l’Europe. J’aurais préféré avoir tort plutôt que de voir la construction européenne s’enliser depuis vingt ans.
En l’occurrence, l’Union Européenne a concédé à Boris Johnson un statut juridique unique au monde et sur mesure à l’Irlande du Nord, permettant aux Brexiters de tenir une promesse pourtant rigoureusement intenable : permettre à l’Irlande du Nord de rester membre à part entière d’un Royaume-Uni hors UE sans rétablir pour autant de frontière réelle avec la République d’Irlande, au sud ! Nigel Farage en rêvait, l’Europe l’a fait ! Elle s’est ainsi mise à nue devant un Etat, devenu étranger, à qui elle a confié la surveillance et le contrôle de notre frontière commune !
Ainsi, en vertu de ce protocole, n’importe quel produit pourra circuler librement entre l’Irlande du Nord -c’est-à-dire le Royaume-Uni- et la République d’Irlande -c’est-à-dire l’Union Européenne-. L’Irlande du Nord étant membre du Royaume-Uni, cela signifie que nous déléguons de fait à Boris Johnson et au Parlement britannique le soin de fixer les normes commerciales de tout ce qui pourra à l’avenir rentrer dans l’Union Européenne !
Le protocole d’accord prétend rassurer les Européens en leur promettant que les douaniers britanniques contrôleront les produits qui arriveront à Belfast et qui sont destinés au marché européen. Mais qui peut sérieusement croire que les intérêts de l’Europe seront défendus par les fonctionnaires des douanes britanniques ? Qui peut avoir la naïveté de prétendre qu’il est sain de faire garder notre frontière par un Etat étranger, aux intérêts concurrents des nôtres ?
Les craintes que j’avais exprimées à ce sujet dès le début de l’année 2019 ont été confirmées par Boris Johnson, lui-même, filmé en train d’avouer à des entrepreneurs nord-irlandais qu’il n’y aura pas de véritable contrôle entre l’île de Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord : “il n’y aura pas de formulaires, pas de vérifications, pas de barrières d’aucune sorte. Si une entreprise est invitée à remplir des documents administratifs comme des certificats d’exportation, elle doit contacter le Premier ministre et je lui demanderai de jeter ce formulaire à la poubelle” !
Je m’inquiète en particulier pour nos agriculteurs. Un exemple concret : depuis août 2019, la Commission Européenne protège les producteurs de biocarburant européen au colza en appliquant des droits de douane compensateurs aux importations de biodiesel indonésien. Quelle efficacité pour cette mesure en cas d’accord commercial entre l’Indonésie et le Royaume-Uni qui n’a pas les mêmes intérêts agricoles que nous ?
Comment garantir que les futurs accords commerciaux négociés par le Royaume-Uni ne prévoient pas l’importation de produits aujourd’hui interdits en Europe mais qui pourraient pénétrer sur notre marché par négligence volontaire ou involontaire des douaniers britanniques ?
Cet accord qui a permis d’hâter la formalisation d’un compromis porte en lui les germes d’un risque mortel pour l’Union Européenne. Fort heureusement, rien n’est encore fait : le départ du Royaume-Uni officialisé aujourd’hui ne fait qu’ouvrir une période de transition qui doit notamment permettre de préciser la portée de ce protocole d’accord.
Un autre accord est possible : si le Royaume-Uni est attaché farouchement à son accès au marché unique, nouer une relation semblable à celle que nous avons avec la Norvège est une alternative plus conforme à nos intérêts.
Le soutien quasiment unanime du Parlement européen m’inquiète sur la lucidité des Européens : il est encore temps d’ouvrir les yeux sur le cheval de Troie que Boris Johnson risque d’installer au cœur de la cité européenne….
Jean-Christophe LAGARDE
Président de l’UDI, député de Seine-Saint-Denis
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