Jean-Christophe Lagarde :

 » L’obstruction renforce le climat de haine »

Discours de Jean-Christophe Lagarde à l’Assemblée Nationale contre la motion de censure communiste, insoumise et socialiste.

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre, Mesdames et messieurs les ministres,
Mes chers collègues, 

Voilà, tout se passe comme prévu. 

Ceux qui souhaitent l’adoption de la réforme des retraites verront le texte voté dans quelques instants. Ceux qui s’y opposent pourront continuer de crier au coup de force démocratique. En quelque sorte, chacun ici pourrait avoir une raison d’être satisfait. Pas nous. Au contraire, nous vivons au groupe UDI, Agir et Indépendants une très grande frustration. 

Notre groupe s’est retrouvé à assister depuis le début du mois de février à une tragicomédie en trois actes 

Acte I : ceux qui ne veulent pas du texte font de l’obstruction, par des milliers d’amendements anecdotiques et redondants, pour pousser le gouvernement au 49.3

Acte II : le gouvernement utilise le 49.

Acte III : les obstructeurs crient au scandale car le 49.3 a été utilisé. 

Durée de la pièce : interminable.

Moment : période pré-électorale.

Lieu : le Parlement français.

Impression : un spectacle lamentable. 

Soyons clair : parce qu’amender est un droit, faire de l’obstruction l’est aussi. 

Cependant, il me semble qu’elle est devenue de moins en moins acceptable et comprise au fil des années. Dans un contexte où les élus sont davantage montrés du doigt, dans un climat d’anti-parlementarisme permanent, elle a un côté anachronique et déplacé. 

L’alinéa 3 de l’article 49 activé en réponse n’est pas anti-démocratique, il est constitutionnel ; ce qui ne l’empêche pas d’avoir un côté brutal et désagréable pour les députés, puisqu’il nous dessaisit de notre fonction première : voter la loi. 

Dès la commission et pendant 12 jours en séance, nous n’avions de toute façon pas vraiment fait la loi mais plutôt tourné en rond. Les discussions utiles étaient l’exception, la règle étant la répétition à outrance, les invectives, les tensions. 

Personne ici ne bénéficiera de ces discussions qui ont donné à voir une Assemblée kafkaïenne. Nous y perdons tous. 

Cet épisode ne fait que renforcer un climat de défiance voire de haine. Et notre inquiétude est immense.

Depuis quelques temps, les permanences d’élus sont devenues des cibles. Des parlementaires ont subi des attaques jusque dans leur domicile personnel ; les menaces de mort, les insultes sexistes, racistes et antisémites sont quotidiennes par mail ou sur les réseaux sociaux. Et ce qui est grave, c’est que nous sommes en train de nous y habituer. 

A part Robert Badinter, plus personne ou presque ne s’indigne lorsqu’une effigie de la tête du Président de la République et mise au bout d’une pique dans des manifestations. Plus personne ne s’indigne lorsque des élus de la Nation miment le lynchage du chef de l’Etat sous les fenêtres de l’Assemblée. C’est une honte !

Dans ce contexte, je dois avouer que j’ai un peu de mal à lire dans la motion commune des groupes de gauche le terme de « violences contre le Parlement » ; tout comme quand le président Mélenchon parle de « tenir la tranchée ». Car pour nous, le débat politique n’est pas une guerre. 

Reste que l’obstruction suivie du 49.3 nous aura privé d’un vrai débat, pourtant nécessaire, pour éclairer les Français et faire de bons choix. 

Le groupe UDI, Agir et Indépendants travaille sur cette réforme des retraites depuis plusieurs mois. Ses principes fondateurs – une retraite par points et universelle pour les salariés – nous les partageons. Certains d’entre nous les défendent depuis plus de 15 ans. 

Avec Agnès Firmin Le Bodo et Thierry Benoit, nous voulions donc améliorer ce projet de loi et apporter des réponses, au Parlement et aux Français sur des points précis. Paul Christophe, quant à lui, aurait aimé pouvoir débattre du titre 5, important car traitant des transitions auxquelles les Français ne comprennent rien, ce qui les angoisse. Francis Vercamer et Nicole Sanquer voulaient également porter des sujets particuliers. En fait, nous voulions juste faire notre travail de députés. 

Nous avions donc déposé en tout et pour tout une centaine d’amendements, tous ciselés, venant de nos convictions personnelles mais aussi d’auditions de professionnels et d’associations. 

Ils ont été noyés dans la masse indigeste des 30 000 amendements d’obstruction. 

Alors, puisque nous n’avons pas pu le faire pleinement, je veux en profiter pour rappeler les attentes de notre groupe et les valeurs que nous avons voulu défendre… avec encore une fois un esprit d’ouverture car la situation actuelle n’est pas satisfaisante. Le futur système de retraite par points doit donc être plus équitable et plus lisible que l’actuel. 

Parmi ces valeurs, nous pensons d’abord à l’équité. La fin des régimes spéciaux, plusieurs fois reportée, peut et doit être demain une réalité car ce maintien de situations acquises – y compris pour les parlementaires – n’est plus compris par les Français.

Ce système doit en outre valoriser le soutien aux personnes dépendantes assuré par les aidants. Nous avions ainsi proposé, pour tenir compte de leur rôle social, de permettre aux aidants de pouvoir partir en retraite plus tôt que l’âge d’équilibre sans subir de décote sur leur pension.

Ce système doit également être un outil de politique familiale, sujet qui nous est cher comme à nos collègues du Modem. Il serait ainsi souhaitable, comme nous l’avons proposé, d’appliquer une majoration de 20% des points de retraite pour les familles de trois enfants ou plus, ou de permettre le don de points entre conjoints, permettant un départ à la retraite au même moment quand existe une forte différence d’âge dans le couple. 

Il doit aussi porter une plus grande solidarité et la justice envers ceux qui ne touchent qu’une petite retraite, en particulier les indépendants et les agriculteurs. Pour ces derniers, le minimum garanti pour les futurs retraités est une bonne chose, mais il faut maintenant tendre vers le même objectif pour les retraités actuels. 

De plus, la retraite par points doit être utilisée comme vecteur de lien intergénérationnel et de transmission des savoirs entre générations. C’est le sens du dispositif de tutorat, au sein de l’entreprise, que nous avions proposé et qui n’a malheureusement pas pu être débattu. 

Nous serons également vigilants, dans la rédaction des ordonnances notamment, pour que le principe de maintien des réserves des caisses autonomes – notamment celles des professionnels libéraux – soit une réalité afin que leur basculement, que nous jugeons discutable, dans le système universel ne soit pas une injustice. 

Cet examen inachevé nous laisse quelques satisfactions. Les amendements retenus par le gouvernement constituent de vrais apports. Parmi eux, se trouvent les nôtres pour favoriser la retraite progressive et pour que la nomination du directeur général de la Caisse nationale passe par une audition devant le Parlement, encore qu’il eût mieux valu que le Parlement soit représenté au sein de cette Caisse nationale. 

Nous avons en revanche des regrets et de vraies interrogations auxquelles seule la suite du parcours parlementaire pourra y répondre. 

Nous aurions souhaité que la retraite par capitalisation ne soit plus un tabou.

L’exemple de certains de nos voisins européens devrait nous inspirer. mixte, avec une part de capitalisation obligatoire, pour tous et pas seulement les plus aisés, avec un encadrement satisfaisant. Je pense que nous y viendrons un jour car c’est la seule garantie possible pour nos jeunes d’avoir un jour une retraite digne dont le fardeau ne soit pas trop lourd pour leurs enfants. 

A titre personnel je regrette également que d’autres pistes de financement plus audacieuses que des mesures d’âge n’aient pas été étudiées, comme la semaine à 37 heures au lieu de fixer un âge d’équilibre à 65 ans.

Quoi qu’il en soit, le financement du futur système a été renvoyé à la Conférence de financements. Ayant plaidé avec Hervé Marseille et Patrick Mignola pour une conférence sociale avant même le dépôt de la réforme, permettre aux organisations syndicales et patronales d’aboutir à des pistes ne me choque pas. En revanche, en tant que députés nous n’avons pas pu suffisamment traiter de ces questions, voire quasiment pas si l’on considère la discussion baroque en hémicycle.

Il faut également avancer sur la pénibilité ou plus exactement sur l’usure générée par certains métiers. La question est plus que complexe et s’est malheureusement focalisée ces dernières années sur une liste de facteurs, alors que nous devrions nous appuyer sur la démographie des professions car la plus grande inégalité devant la retraite, c’est le temps dont en bénéficieront les professions les plus favorisées par rapport aux ouvriers. Pour ce sujet comme pour d’autres, les points qui remplacent les trimestres sont une vraie opportunité. 

Mes chers collègues, ces motions de censure sont légitimes, mais nous considérons qu’on ne mène pas à bien une réforme en renversant un gouvernement, surtout en période de crise. 

Le texte va maintenant poursuivre sa navette au Sénat, où l’obstruction ne fait pas partie des habitudes et où le 49.3 est impossible. Ce sont donc nos collègues sénateurs qui vont faire le travail que nous n’avons pas pu faire ici et nous le regrettons amèrement même si nous comptons sur eux. Des améliorations, des modifications, des réponses vont et doivent être apportées. 

Il reste encore du temps pour rendre cette réforme lisible ; ce n’est pas une mince affaire dans la mesure où elle remet tout à plat, mais c’est une nécessité pour la rendre réellement acceptable. 

Nous espérons encore dans la navette parlementaire pour faire de ce système un système financé et juste pour les carrières non linéaires, peu rémunératrices ou usantes. Ce n’est qu’alors qu’il donnera confiance aux jeunes générations qui s’imaginent souvent qu’ils cotisent sans avoir eux-mêmes droit à une retraite. Sur ce sujet – comme d’ailleurs sur celui du changement climatique – nous leur devons de restaurer cette confiance, au-delà de toutes considérations électorales de court terme. 

Pour finir, je dirais que cet épisode confirme qu’il y a quelque chose de malade dans notre système institutionnel.

Le rôle d’une Assemblée n’est pas de bavarder ni de générer des liasses d’amendements. Il est d’éclairer l’opinion, de trancher, de faire la loi, de l’évaluer. Soit parce qu’elle n’en a pas la capacité, soit parce qu’elle ne s’en donne pas la possibilité, l’Assemblée nationale est déjà bien faible dans notre système institutionnel. Pour l’avenir, nous formons le vœu que nous fassions en sorte collectivement qu’elle ne s’affaiblisse pas elle-même davantage. 

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