Une Sécurité sociale malade de ses renoncements

Said Ouichou, médecin généraliste dans les quartiers nord de Marseille

 

En 2025, la Sécurité sociale affichera un déficit de 22,1 milliards d’euros. Un gouffre financier sans fin. Et pourtant, qui osera dire que les malades sont aujourd’hui mieux soignés ? Que les Français sont mieux protégés ?

 

Ce paradoxe est insoutenable. D’un côté, des dépenses en constante augmentation. De l’autre, une prise en charge qui s’érode. La branche maladie porte à elle seule 90 % du déficit. Les soins de ville dérapent, les hôpitaux s’enfoncent. On pousse les patients vers l’ambulatoire, soi-disant plus efficient… mais à quel prix ? Le transfert massif vers les soins ambulatoires, sans accompagnement humain ni territorial adapté, a fait exploser les dépenses des transports sanitaires qui ont dépassé les 5 milliards d’euros en 2022. Le « tout-ambulatoire » est devenu un leurre économique autant qu’un abandon organisationnel.

 

Le rapport de la Cour des comptes le dit : la qualité et l’efficacité des services financés par la Sécurité sociale doivent être renforcées. Mais où est la vision politique ? Où sont les investissements dans la prévention, pourtant seule capable de casser la spirale des dépenses évitables ? Où est la volonté de sortir d’une logique de rattrapage perpétuel par l’hôpital et les urgences, quand tant de pathologies pourraient être anticipées ou évitées en amont ?

 

L’Organisation mondiale de la santé le rappelle : chaque euro investi dans la prévention peut générer jusqu’à 14 euros d’économies. Ce n’est pas une option budgétaire, c’est une urgence sanitaire et sociale.

 

Redresser notre système suppose une refonte profonde autour de six axes :

  • Rééquilibrer le financement en mettant fin aux exonérations non compensées et en taxant davantage les produits nocifs (tabac, alcool) et les revenus du capital,
  • Faire de la prévention une priorité nationale avec des bilans de santé réguliers et un accompagnement structuré,
  • Réorganiser les soins pour éviter les dépenses évitables,
  • Renforcer les soins de proximité et sortir de la logique du “toujours plus” à l’hôpital,
  • Lutter contre la fraude sans stigmatiser les plus précaires,
  • Rationaliser le recours aux médicaments en limitant les prescriptions inutiles, en favorisant les génériques, et en luttant contre la surmédicalisation.

 

Mais cela exige aussi une gouvernance responsable, capable de penser la politique de santé sur dix ou vingt ans, pas seulement jusqu’à la prochaine élection.

Sinon, à force de ne plus savoir soigner les Français, nous finirons par les aider à mourir.