INTERVIEW – Jean-Christophe Lagarde répond aux questions d’Atlantico

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Atlantico : Qu’est-ce qui fait que votre mouvement prend nettement ses distances avec LR aujourd’hui ? Votre positionnement dans l’échiquier politique n’est-il pas particulièrement inédit ?
Jean-Christophe Lagarde : Pendant des décennies, le centre et la droite ont traditionnellement eu une alliance pour deux raisons fondamentales. La première c’est le mode de scrutin de la Ve République depuis 1958 qui contraint aux alliances. Le centre avec la droite et les communistes avec les socialistes et les radicaux de gauche. Le mode de scrutin poussait à cela. Et la deuxième raison, c’est qu’à partir du programme commun de François Mitterrand entre les socialistes et les communistes, il y eut une proximité d’idée bien plus grande entre le centre et la droite qu’avec ceux qui pactisaient avec les communistes – aujourd’hui en version remasterisée, Mélenchon. Mais aujourd’hui la vision radicalisée de la droite s’éloigne de nous. Et contrairement à ce que tout le monde pense, la politique ce n’est pas « passe-moi le sel, j’te refile le poivre! » On se bat pour des idées, et quand ces idées ne sont plus communes, il ne peut y avoir de combat commun. Je reconnais volontiers qu’il ne s’agit pas du cas de tout les membres de LR. Mais c’est hélas le cas d’une majorité de cadres et de militants LR dont la dérive droitière ne date pas d’hier et risque même de s’accélérer. C’est vers cela que va la droite française, cela n’a plus rien à voir avec la droite de De Gaulle. Elle sombre progressivement dans une entre soi radicalisé qui se rapproche dangereusement de l’extrême droite et qui fait heureusement peur aux Français de la droite modérée et du centre – heureusement parce que c’est un réflexe sain.
Qu’est-ce qui vous éloigne aujourd’hui d’Emmanuel Macron ?
Puis-je vous rappeler que de tous les responsables politiques du centre et de la droite, j’ai été le seul à aller rencontrer et à discuter avec Emmanuel Macron en septembre 2016 quand il a quitté le gouvernement socialiste. J’ai eu à ce moment-là des discussions avec lui qui montraient clairement des convergences mais aussi des divergences. Ces convergences et divergences existent et je n’ai aucune envie de cacher les convergences pas plus que je n’ai envie de taire les divergences.
D’ailleurs, ces divergences concernent principalement la conception d’envisager le pouvoir. Je m’explique : depuis toujours, pour transformer notre pays, il y a besoin de coalitions. A l’époque où je l’ai rencontré, et jusqu’au 7 mai dernier quand il est devenu Président de la République, Emmanuel Macron disait qu’il fallait savoir rassembler des majorités d’idées, sujet par sujet. Depuis que les Français lui ont confié tous les pouvoirs, il n’est plus question de majorité d’idées, on revient à la conception bonapartiste classique du pouvoir, comme dans « l’ancien monde ». Je pense que c’est une erreur parce que le Président de la République ne devrait pas oublier ce qui est son assise sociologique, celle obtenue au premier tour de la présidentielle : un quart des Français. Avec un quart des Français, on ne parvient pas durablement à transformer notre pays. Je souhaite la transformation de notre pays. Avec un Français sur quatre, on n’y arrive pas. Nicolas Sarkozy a essayé : il a échoué. François Hollande a essayé : il a échoué. La promesse du candidat Emmanuel Macron était un rassemblement plus large en fonction aussi des idées qu’il proposait. Je crois même qu’il disait à l’époque : voilà les cinq ou six grands chantiers que je veux réaliser. Ensuite discutons, réalisons, élargissons ! Depuis qu’il est entré en fonction, c’est l’inverse qui se produit. Il n’y a plus de recherche de rassemblement. Et le rassemblement, c’est la seule façon pour un pouvoir en place, même quand les Français semblent signer un chèque en blanc, d’éviter les blocages, de surmonter les corporatismes et donc de moderniser la France.
Votre mouvement est souvent très actif sur les questions européennes. Que pensez-vous de la politique européenne d’Emmanuel Macron ?
Sur la démarche européenne d’Emmanuel Macron, je redis que je suis pratiquement d’accord à 100% avec lui. Je confirme que nous sommes prêts à l’aider, et qu’il ne devrait pas négliger le débat européen parce que sa position, comme la nôtre est malheureusement minoritaire aujourd’hui dans notre pays. L’Europe a été la victime de toutes les lâchetés de la vie politique française qui ont fait la litière – et je dis bien litière et pas lit – de Mélenchon et de Le Pen. C’est-à-dire que plutôt de regarder ce qui doit être transformé chez nous on essaye d’accuser ce qui ne fonctionne pas chez ou avec les autres. C’est la paille et poutre. Et la poutre est chez nous ! L’Europe ne fonctionnera bien que si nous fonctionnons bien et que si nous en prenons le leadership. L’Europe doit servir à une chose selon nous à l’UDI. Elle doit être un outil de protection et instrument de combat pour que la mondialisation nous profite au lieu de nous nuire. Pour que nos intérêts et donc nos modes de vie soient défendus face aux autres grands ensembles mondiaux. Sur ce qu’il dit de l’Union européenne, nous sommes donc d’accord à presque 100%. Mais là encore, le travers qui consiste avant l’élection à parler de rassemblement et à ne pas le faire après est un danger pour le Président – et à la limite c’est sans importance – mais aussi pour le projet européen, ce qui est plus grave. Les porteurs du projet européen renforcent l’Europe quand ils se rassemblent et dépassent leurs différences nationales.
Nous sommes minoritaires dans le pays, mais au fond les Français aimeraient que cette idée soit majoritaire. Il faudrait que nous leur expliquions ensemble, de façon transpartisane comme s’est toujours construite l’Europe pourquoi elle nous est nécessaire indispensable et porteuse de promesses. Et combien l’Europe d’aujourd’hui n’est pas du tout l’Europe que nous voulons. L’Europe d’aujourd’hui a de lourds dysfonctionnements qui font qu’elle s’occupe sans arrêt des questions marginales et jamais des questions essentielles, stratégiques. Ce n’est pas notre Europe. Je ne veux pas d’une Europe qui voit la BNP condamnée à des milliards d’euros d’amende par les USA, au détriment de ses clients, et qu’il n’y ait pas de lois et de pouvoirs européens capables d’infliger la même chose aux entreprises américaines, de leur dicter et imposer nos lois, donc nos intérêts plutôt que de subir les leurs ! On ne peut pas fonctionner comme ça ! Alors il y a ceux qui disent recroquevillons nous pour nous défendre. Mais la France ne fera jamais le poids seule face aux Etats-Unis, à la Chine, à l’Inde, aux géants du monde. En revanche, l’Europe, avec son demi milliard d’habitants est capable de dire : « Très bien ! Jouons à armes égales ! » Pour moi l’Europe, au-delà de notre communauté de culture, de valeurs, de notre vision de l’homme et de la femme dans la société, de la façon dont nous vivons ensemble c’est aussi la défense de nos intérêts, donc de nos modes de vie. Mais pour que cela soit la défense de nos intérêts, il faut qu’on soit capable de fédérer les nations et de dire que nous nous défendons et protégeons contre les géants mondiaux. Il s’agit de mettre en place des conditions sans lesquelles nous n’accepterons pas de discuter. Nous avons besoin d’une fédération de nos intérêts.
Sur quels autres sujets votre ligne rejoint-elle particulièrement celle du Président ?
Le président de la République a nommé au ministère de l’Education un homme exceptionnel, que je connais et que je soutiens dans sa vision de l’éducation : le retour à la notion d’effort, de mérite et la fin des délires pédagogistes. Qu’est-ce que je veux dire par là? Pendant 40 ans, on a tenté d’appliquer une autre méthode pédagogique que celle qui avait fait ses preuves. Sauf que les pédagogistes ont fait la preuve du contraire : c’est un échec. 20% d’enfants qui ne savent pas lire et écrire correctement quand ils arrivent en 6e, 40% d’enfants en difficulté au début du collège. Jean-Michel Blanquer a dit : on arrête les bêtises! Je suis d’accord avec lui. Mais j’aimerai qu’on aille plus loin. C’est-à-dire plus d’autonomie dans les établissements, car ce n’est pas la même chose de diriger un établissement à Janson de Sailly à Paris ou Eugène Delacroix à Drancy. Ce n’est pas le même public et il faut donc leur laisser un peu plus de souplesse et concentrer plus de moyens vers les publics moins favorisés. Ce n’est pas au 110 rue de Grenelle, adresse du Ministère de l’Education nationale, que l’on peut gérer toutes les différences de la France. Or gérer les différences, c’est donner de l’égalité des chances, et justement aujourd’hui, celle-ci n’existe plus.
Sur la loi travail, vous avez déclaré que vous souhaitiez plus de discussions sur un certain nombre de sujets. Quels sont les points que vous souhaitez voir venir autour de la table? La loi actuelle ne vous convient-elle pas en l’état ?
Sur la loi travail, je n’ai qu’une différence de point de vue avec Emmanuel Macron. Je ne suis pas d’accord sur l’idée que quand il y a un plan de licenciement dans une multinationale en France on ne regarde que la situation de la branche française de la multinationale. Des financiers vont chercher à profiter ce cette brèche. Je regrette qu’il n’y ait pas eu de vraies discussions avec les groupes politiques du Parlement. On l’a demandé à de nombreuses reprises, cela a été refusé, c’est regrettable.
Mais au fond l’effort de simplification, de négociation et de contractualisation du monde du travail est très clairement l’effort le plus important qui ait été fait depuis 50 ans, ce que la droite elle-même a renoncé à faire. Au global, cette réforme va dans le bon sens et va relancer la création d’emplois au moment où la croissance européenne et mondiale revient. Je voterai donc pour car cela aidera à faire reculer le chômage.
Je viens de vous dire ce avec quoi j’étais d’accord, je pourrais vous dire ce avec quoi je ne le suis pas. L’UDI est aujourd’hui entièrement libre de ses décisions, de ses votes, de ses expressions. Et comme beaucoup de Français, je prends position cas par cas, sujets par sujets. A la politique réflexe, je souhaite que nous substituions la politique réflexion. Il faut prendre le temps de réfléchir plutôt que d’avoir des réflexes pavloviens. Pour faire simple : je suis contre la CSG qui est une usine à gaz sans aucune possibilité de compenser l’intégralité des Français et qui ne pénalise que le travail des Français. La TVA compétitivité aurait au moins eu l’avantage de faire payer une partie de notre protection sociale par ce qui est produit à l’étranger (la moitié de ce que nous consommons).
Je ne suis pas d’accord avec ce qui est annoncé pour l’instant sur la baisse des APL et je demande solennellement au Premier ministre d’ouvrir avec nous une discussion sur la stratégie logement. On ne peut, il a raison, laisser dériver les choses comme elles le sont. Mais il faut garantir aux organismes de logement social que la baisse des loyers qui va leur être imposée ne les place pas dans la situation telle qu’ils ne se retrouvent plus capable d’entretenir le moindre bâtiment ou de conduire la rénovation urbaine. Je propose par exemple qu’on fasse une différence entre les sociétés anonymes d’HLM, qui pour certaines ont beaucoup de gras, et les organismes publics d’HLM qui eux sont à l’os.
Ne pensez-vous pas que l’un des principaux écueils qui attende le Président est l’accusation d’être le Président des riches ?
Je vous dis les choses très clairement: « Président des riches » c’est un slogan et de la propagande. J’invite les Français à ne pas se payer de formule comme nous avons tant l’habitude de le faire. Il faut regarder chaque mesure, comme nous le faisons à l’UDI. Par exemple, c’est un vrai effort de solidarité nationale que d’augmenter le minimum vieillesse et l’AAH de 100 euros par mois. Maintenant, c’est important de rappeler au Président de la République qu’il faut qu’il s’occupe des plus fragiles, c’est à dire de ceux qui n’ont pas voté pour lui, qui ont peur de la mondialisation et ne savent pas comment s’y adapter et y trouver leur place. Je dis au Président de la République : « Vous devez être celui qui les aiguille, pas seulement celui qui les engueule ».
François Bayrou a déclaré avoir été séduit par votre prise de distance claire vis-à-vis des Républicains et souhaiterait entamer des discussions avec vous. Le centre a souvent été le théâtre de combats d’egos : pensez-vous qu’il soit possible de les surmonter aujourd’hui ?
François Bayrou répond à l’affirmation de notre indépendance et de notre autonomie, au fait qu’une alliance avec LR n’a plus rien d’automatique parce qu’il appelle « une main tendue ». Qu’il accompagne d’une phrase surprenante : « j’ai de la mémoire ». Je lui réponds « moi aussi ». Je prends acte de cette main tendue et pour le moment j’y répondrais par une oreille attentive. Mais une des différences avec François Bayrou aujourd’hui est que l’UDI est libre de ses alliances et que lui, n’ayant pu être candidat aux présidentielles, s’est lié au Président de la République. Lors des élections législatives, il a obtenu des députés grâce à Emmanuel Macron et ses ministres au gouvernement sont la concrétisation de cette solidarité qu’impose le pouvoir. Il n’a donc pas l’autonomie et l’indépendance qui est la nôtre. Il n’est pas dans l’assimilation mais déjà dans l’intégration. Je vais vous dire le fond de ma pensée. Premièrement, nous sommes de la même famille politique. Une famille qui a connu des accidents dans sa génération ; la séparation de Morin, de Bayrou et d’autres…  Mais nous restons de la même famille de pensée. Rien n’interdirait donc que nos élus qui le souhaiteraient réfléchissent ensemble sur les grands enjeux de notre monde dans un cadre informel. Comme nous le faisons d’ailleurs dans certaines organisations européennes ou transatlantiques. Deuxièmement, une nouvelle génération politique se met en place après cette élection présidentielle. Fini le temps des Sarkozy, Hollande, Juppé,  et consorts qui ont occupé la scène politique depuis 20 à 25 ans. Je crois que le rassemblement de notre famille politique sera possible avec cette nouvelle génération.
Emmanuel Macron presse les Constructifs de rejoindre LREM mais certains semblent se tourner vers vous aujourd’hui. Qu’est-ce qui selon vous devrait les pousser à vous rejoindre?
Les Constructifs qu’est-ce que c’est? C’est l’UDI pour presque les deux tiers qui choisi de travailler avec des Républicains qui ne supportaient plus le repli identitaire, ultra-conservateur, excessif voire caricatural du parti LR. Le problème se pose à ceux qui ont cru en l’UMP qui était censée être un rassemblement entre la droite et le centre, tandis que Les Républicains devient un rassemblement entre la droite et la droite extrême.
A partir de l’UDI, je souhaite que nous puissions rassembler le centre et la droite progressiste, ce qui représente beaucoup de monde. Nous nous étions d’ailleurs retrouvés au moment de la primaire de la droite et du centre derrière Alain Juppé. Cet espace politique là, représente ceux qui veulent la réussite de la France, qui ne se reconnaissent pas dans certaines positions d’Emmanuel Macron et qui refusent absolument la dérive droitière que représente Laurent Wauquiez. Cet espace politique est très important. Macron a eu 24% des voix au premier tour de la Présidentielle, 66% au second tour. Nous avons fait partie des 66%, pas des 24. Le soir du 7 Mai il avait promis, aux 42% qui sont venus battre Le Pen, qu’il tiendrait compte de leurs idées. Or depuis le début du quinquennat, il ne le fait pas!
Une certaine complaisance envers l’islamisme radical est à noter aujourd’hui à l’Assemblée, soutenue par les forces d’extrême-gauche et principalement la France Insoumise. Ne pensez-vous pas que le durcissement du discours idéologique de la droite favorise ces positions électorales à l’extrême inverse ? 
Soyons clairs. Les barbares savent qu’ils ne peuvent pas nous battre. Ils veulent juste que nous nous combattions entre nous. Ils veulent créer une guerre civile dans notre pays comme ils ont su le faire dans les leurs. Ils ne peuvent pas nous soumettre, nous envahir, nous contraindre mais ils peuvent nous détruire si nous acceptons de nous combattre entre nous au lieu de les combattre.
L’islamo-gauchisme, c’est-à-dire la complaisance envers les porteurs de cette barbarie, est à mes yeux aussi coupable du risque d’affaiblissement de la France qu’une droite qui veut rejeter tout et tout le monde et qui voudrait assimiler l’islamisme politique et la religion musulmane. De ce point de vue-là, je suis très proche de l’avis de Manuel Valls, qui comme Premier Ministre, avait une vision beaucoup plus lucide de la situation du pays que François Hollande. Il aurait mieux valu que ce soit lui qui ait les rênes à ce moment-là.
Ne laisse-t-on pas à la France Insoumise le monopole de la critique de la mondialisation? N’est-ce pas un risque politique ?
Il y a chez la France Insoumise deux impostures. Faire penser que les sans-cravates sont des sans-culottes. J’ai eu honte pour l’Assemblée Nationale de voir M. Ruffin la chemise en dehors du pantalon, comme si ne pas porter de cravate ne suffisait plus à faire parler de soi. A-t-on besoin de faire le guignol pour exister médiatiquement? Le peuple français en a-t-il besoin? Doit-on réduire le débat public à ça pour satisfaire le business médiatique ? Que fait-on avancer ainsi ?
La deuxième imposture est plus structurelle, moins médiatique: vouloir réguler l’économie mondiale seulement à partir des intérêts de la France. Ce serait formidable si la France était la première des grandes puissances mondiales. Lors de l’appel du 22 juin 1940, De Gaulle dit « La France n’est pas seule ». Aujourd’hui on est peut-être en 2017, mais la France n’est toujours pas seule, elle ne décide pas seule. Plus personne d’ailleurs ne le fait, car tous dépendent aussi des autres pays. La France est un grand pays, la France est capable de grandes choses, mais quand elle ne s’enferme pas sur elle-même comme le préconise Mélenchon.  L’imposture réside dans l’idée de proposer le retour à  la France d’avant, celle des années 70 dans un monde qui n’était pas ouvert. Ça peut sembler rassurant aux plus fragiles, mais ils en seraient les premières victimes.
Moi je suis très préoccupé par tous ceux qui vivent dans des zones péri-urbaines, rurales, qui sont rejetés des grandes métropoles mondiales, qui n’ont plus accès à ce qui permet une performance suffisante pour ne pas être broyés. Il faut en direction de cette France là une politique ambitieuse d’égalité des chances à l’école, d’accès au numérique, aux services publics, aux transports, etc…
Bien sûr, Il faut mettre le paquet pour donner les moyens à la France d’être plus compétitive, pour retrouver une place parmi les numéros un mondiaux, pour qu’elle ne soit pas reléguée. La pire des iniquités sociales c’est quand le pays décroche, s’appauvrit car ce sont les pauvres qui le payent en premier. Jamais les riches. Là je suis d’accord avec Macron. Mais on ne peut pas laisser tomber le reste de la France, celle qui avance moins vite. On ne peut pas faire d’un quart de la population notre moteur, et oublier ceux qui ont plus de difficultés à s’adapter au point qu’ils ne puissent ni raccrocher les wagons, ni se voir garantir leur subsistance. Sans ça, on va se planter.
Sarkozy s’est planté, Hollande s’est planté, car ils pensaient ne devoir écouter qu’eux-mêmes illusionnés qu’ils étaient par leurs victoires. C’est le principal danger qui menace LREM. Une majorité se condamne absolument quand elle croit avoir absolument raison sur tout et n’écoute plus rien. En écoutant, elle peut éviter ce sur quoi elle se trompe, et se renforcer sur ce en quoi elle a raison.
« Il y en a certains, au lieu de foutre le bordel, ils feraient mieux d’aller regarder s’ils peuvent avoir des postes » a déclaré le Président de la République lors de son déplacement en Corrèze. Considérez-vous comme le Président qu’il est temps de mettre de l’ordre ou pensez-vous qu’il s’agit là d’une déclaration indécente ?
Un Président ne devrait pas dire ça. Mais sur le fond, il n’a pas tort quand il dit que des élus, des syndicalistes, qui forcent le barrage de police pour essayer de faire parler d’eux à l’occasion d’une visite du Président, n’ont rien à voir avec l’image de la réalité dont nous avons besoin en terme de dialogue social. Une des raisons pour lesquelles je voterai les ordonnances sur le travail, c’est que ça simplifie, et permet du dialogue, des accords. Notre pays crève de vouloir que tout parte de l’Elysée, alors que dans chaque entreprise, collectivité territoriale, association, on est capable de passer des accords intelligents gagnants-gagnants. Quand on remonte le sujet au niveau national, on le vit comme une confrontation, on retombe dans une caricature de lutte des classes. Pendant la campagne électorale, il avait cette pédagogie, maintenant qu’il est à l’Elysée, on a plus le sentiment de sentences autoritaires. Notre Président doit plus se préoccuper des gens fragiles, qui ne savent pas comment s’adapter, de leur parler et de leur montrer le chemin.
Un des sujets qui vous tient à cœur est l’avenir de l’agglomération parisienne en tant que métropole. Emmanuel Macron a annoncé vouloir remodeler l’Ile de France. Pensez-vous que ses propositions soient adaptées et efficaces ?
Je crains  un problème de méthode. Le Président n’a souhaité aucune concertation et une décision doit nous être annoncée en novembre. Un sujet aussi complexe que la capitale de la France, et sa région, n’a rien à voir avec ce qu’on peut connaître à Marseille, à Lyon, à Toulouse parce qu’on change totalement d’échelle. Je pense que ce manque de concertation est une erreur. Concerter ne veut pas dire se soumettre ou rester immobile. Cela veut dire écouter et là, il n’y pas écoute. Mon avis personnel est le suivant, la métropole est nécessaire et ça c’est du niveau du président de la République. Dans cinq, dix ou quinze ans, il y aura une dizaine de métropoles de niveau mondial. Une ou deux en Europe, deux ou trois en Amérique, deux ou trois en Asie. Ces métropoles vont déterminer la puissance de chacun des pays, c’était d’ailleurs la vision de Nicolas Sarkozy et il avait raison. Constituer une vraie métropole de niveau mondial, c’est une question internationale parce que c’est de la puissance de la France dont on parle. François Hollande a fait les choses à moitié comme d’habitude et à contresens. Il a créé deux niveaux d’administration supplémentaires. Il y avait la commune, les syndicats intercommunaux, les départements, et la région. Il y a ajouté les Territoires (EPT) et la Métropole. On est à six niveaux, ce qui est une folie. Il faut que l’on soit à quatre au maximum. Ma vision est de regrouper au sein de la Métropole tout ce qui a fait la métropole avant même la Métropole. Par exemple, tous les grands syndicats (l’électricité, l’eau, le gaz…), les routes départementales et nationales qui font qu’on arrive à se déplacer. A cela s’ajoutent les quatre, cinq ou six projets phares de développement de niveau mondial que l’Etat doit définir et qui doivent être confiés à la Métropole. Ce sont ces projets qui peuvent nous permettre de concurrencer Shanghai, New York, Londres ou Berlin. Ce n’est pas aux élus de la métropole de les définir mais bien à l’Etat. Il s’agit encore une fois du rayonnement de la France dans le monde entier.
Pour le reste, il faut veiller à ne pas déshabiller les communes et faire la même erreur qu’avec l’Europe. On crée des pouvoirs en super structures mais les citoyens n’y ont plus accès. La commune, c’est la seule échelle ou les citoyens peuvent vraiment être pris en considération et interpeller leurs élus. Il faut même rendre aux communes certaines missions que la loi Notre a donné aux territoires et dont la mutualisation n’apporte rien, sinon des problèmes, tel que le ramassage des ordures ménagères par exemple. Les départements des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis, du Val de Marne et de Paris doivent être supprimés et leurs compétences redistribuées aux territoires et à la région. Selon moi, les collèges et l’ensemble de l’aide sociale légale doivent être confiés aux territoires (EPT), qui doivent aussi assurer la politique du logement et dont les élus doivent être choisis par le suffrage universel direct. Les autoroutes urbaines, le périphérique et les voies sur berge doivent être du ressort de la Région pour compléter et rendre cohérente sa compétence transport. Les décisions d’Anne Hidalgo pour les voies sur berge ou le périphérique sont indécentes dans la mesure où elles ne concernent pas uniquement les parisiens (ses électeurs) mais impactent tous les habitants d’Ile de France. La Région doit aussi être seule à s’occuper de l’Emploi, de la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur. Il faudrait donc également des transferts de l’Etat vers la Région.
Il faut enfin rétablir une véritable équité financière entre les communes et territoires de la Métropole. Il est scandaleux qu’un propriétaire de La Courneuve paye plus d’impôts locaux que celui qui possède un appartement face à la Tour Eiffel, alors que le premier est plus pauvre et dispose de beaucoup moins de services publics que le second. Mais cette équité ne sera possible qu’à travers les lois de finances, pas à travers la gouvernance car les égoïsmes et situations acquises sont trop forts.
Bref, il faut bouger les lignes sur tout cela mais pour l’instant je suis inquiet. Les rumeurs disent qu’Emmanuel Macron va oublier les territoires et tout concentrer sur la Métropole ce qui serait une faute qui empêcherait de gérer le quotidien et la proximité nécessaires. On ne peut pas avoir d’un côté la commune et de l’autre la métropole, passer d’une ville de 70 000 habitants comme la mienne à une Métropole de 7 millions d’habitants sans qu’il y ait une autorité qui assure la gestion au niveau intermédiaire. Sinon les citoyens seraient oubliés et broyés dans un ensemble technocratisé. Souhaitons que ce ne soit que des rumeurs.